Un premier roman drôle, mais amer en même temps, bourré d’absurde, et tellement réel à la fois.

Mais d’où t’es venue l’idée de lire ce livre ?

Depuis longtemps dans ma liste à lire, il est ressorti grâce à @garp qui me l’a vivement conseillé.

La quatrième de couv :

Au centre de La Fonction du balai se trouve une héroïne ensorcelante et égarée, Lenore Beadsman. L’année : 1990. Le lieu : une version légèrement altérée de Cleveland, à la frontière d’une immense friche suburbaine, le Grand Désert d’Ohio.
Lenore est standardiste dans une maison d’édition, un travail abrutissant auquel viennent s’ajouter quelques soucis pour le moins perturbants. Son arrière-grand-mère, un temps disciple de Wittgenstein, a disparu de sa maison de retraite, accompagnée de vingt-cinq autres pensionnaires. Son petit ami et patron, l’éditeur Rick Vigorous, est un jaloux pathologique et complexé. Et Vlad l’Empaleur, sa perruche, devient la star d’une chaîne de télévision chrétienne fondamentaliste lorsqu’elle se met à parler et à déblatérer un mélange de jargon psychothérapeutique, de poésie britannique et d’extraits de la bible du roi Jacques.
Farouchement drôle et intelligent, le premier roman d’un auteur parmi les plus innovants de notre époque explore les paradoxes du langage, de la narration et de la réalité.

Mon avis :

Lenore se retrouve au beau milieu d’une situation assez étrange : son arrière-grand-mère vient de disparaître de la maison de retraite où elle se trouve, avec 25 autres collègues, alors qu’elle a besoin de soins constants ; Vlad l’Empaleur, son perroquet, cite des extraits de la bible depuis qu’il a un peu abusé du pétard ; son frère, surdoué fainéant, vend son intelligence à la fac en échange de nourriture pour sa jambe, comprenez de la drogue qu’il cache dans sa jambe en bois ; son père, lui, tente constamment de la faire revenir dans le droit chemin : après tout, elle est la fille d’un riche homme d’affaires, mais n’aspire qu’à être secrétaire ; et puis, il y a Rick Vigorous, son patron, mais qui nourrit des sentiments pour elle, même si cela ne semble pas très sain ; ah, on a le Dr Jay, psychologue qui a aussi grand besoin d’être soigné, et puis l’homme qui a décidé de manger jusqu’à occuper tout l’espace de son building (peut-être même l’univers tout entier si c’était possible), l’ami de Vigorous retrouvé « par hasard » qui joue un visiblement un double jeu, la voisine un peu nympho… et comme si tout cela ne suffisait pas, Lenore se retrouve face à un standard téléphonique qui subit quelques dysfonctionnements, mélangeant les numéros de la maison d’édition avec ceux d’une maison de call-girls, d’un zoo ou bien d’autres endroits encore !

Pauvre Lenore, n’est-ce pas ? C’est à elle de tout gérer, vu que visiblement personne d’autres dans sa famille ne s’inquiète de la disparition de l’arrière-grand-mère, ni du discours totalement aberrant de Vlad, entre autres… Parce que tout ce côté-là n’est que la partie émergée de l’iceberg. C’est l’aspect totalement délirant de ce roman, qui enchaîne les dialogues les plus fous, les situations les plus loufoques ou les plus absurdes. Et encore, je ne vous ai donné qu’un tout petit aperçu de ce que vous pourrez trouver dans ce livre. Parce que des situations rocambolesques, il y en a encore à la pelle…

Et le rapport avec le titre alors ? C’est là qu’on aborde la partie immergée du roman. La fonction du balai, quelle est-elle ? On définit souvent un objet par sa fonction. Un balai sert donc à balayer, sauf si on a besoin du manche (voir l’extrait ci-dessous). Et Lenore a grandi avec l’impression de n’avoir pas de prise sur sa vie, ses actes, son destin. En grande partie à cause de cette arrière-grand-mère qui a toujours tenté de lui imposer, par un livre qui lui appartient alors que sa « vie est en [elle], pas dans un livre qui fait pendouiller la chemise de nuit d’une vieille femme », certaines vues sur le langage, la manière dont on se l’approprie et l’utilise. Sans compter les séances avec son psy qui tente lui aussi, non pas de l’aider, mais d’influencer sa manière de penser et d’agir…

Alors parfois, derrière certaines phrases, on sent poindre une sorte de désespoir face à ce langage qui ment, qui détourne, qui manipule, qui ne dit pas clairement. Et on ne sait pas vraiment qui de Lenore ou de l’auteur s’exprime dans ces cas-là. Surtout quand on connaît le destin de David Fauster Wallace. Le livre est drôle, mais amer en même temps, bourré d’absurde, et tellement réel à la fois. Et dire que ce n’était que son premier roman ! Merde en flamme, comme dirait le frère de Lenore.

Extrait :

« … que, pour te redire ce que j’ai entendu pendant des années et des années, et que toi aussi tu as dû entendre plus d’une fois, la signification d’un objet n’est ni plus ni moins que sa fonction. Et cetera et cetera et cetera. Elle t’a fait le truc du balai ? Non ? Qu’est-ce qu’elle fait maintenant ? Non. Quand j’étais petit – je devais avoir huit ou dix ans, je ne sais plus -, elle me faisait asseoir dans la cuisine, elle attrapait un balai, elle se mettait à balayer le sol comme une furie et elle me demandait qu’elle partie était pour moi la plus élémentaire, la plus fondamentale, la brosse ou le manche. La brosse ou le manche. Et j’étais là, oppressé et hésitant, et elle passait le balai de plus en plus fort, ça me rendait nerveux et finalement je disais que je pensais que c’était la brosse, parce que si tu en as envie tu peux balayer sans le manche, juste en tenant la brosse, et alors elle me flanquait un coup qui m’éjectait de ma chaise et elle me hurlait dans l’oreille des trucs comme, « Haha, c’est parce que tu veux te servir du balai pour balayer ! C’est à cause de la fonction que tu veux donner au balai ! » Et ainsi de suite. Et que si on voulait se servir du balai pour casser une vitre, alors le manche devenait l’essence fondamentale du balai […]»

Détails :

Auteur : David Foster Wallace
Traducteur : Charles Recoursé
Éditeur: Au diable vauvert
Date de parution : 09/2009
577 pages

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