Un livre écrit avec beaucoup d’intelligence et de cœur. Une quête personnelle qui témoigne d’une des périodes les plus atroce de ce siècle.

Mais d’où t’es venue l’idée de lire ce livre ?

Celui-ci est depuis sa sortie sur ma liste à lire. Une fois sortie en poche, c’est la taille qui m’a fait peur. Et puis M. Tulisquoi est revenu un jour avec pour me l’offrir. Il n’y avait plus qu’à le commencer !

La quatrième de couv :

Enfant déjà, Daniel Mendelsohn savait que son grand-oncle Shmiel, sa femme et leurs quatre filles avaient été tués dans l’est de la Pologne en 1941. Plus tard, il découvre des lettres désespérées de Shmiel à son frère, installé en Amérique. Des lettres pressant sa famille de les aider, des lettres demeurées sans réponse…
Parce qu’il a voulu donner un visage à ces six disparus, Daniel Mendelsohn est parti sur leurs traces. Cette quête, il en a fait un puzzle vertigineux, un roman policier haletant, une plongée dans l’histoire et l’oubli – un chef-d’oeuvre.

Mon avis :

Physiquement, il lui ressemblait, au point même de faire pleurer les femmes de sa famille lorsqu’il était jeune. Son grand-père, formidable conteur d’histoires, se fermait complètement dès que son nom était prononcé. Et puis, il y avait ce manque, ce vide dans l’histoire de la famille. La question Qu’est-il arrivé à Oncle Shmiel ? va ainsi poursuivre Daniel Mendelsohn au point de passer cinq années de sa vie à mener l’enquête. Pour savoir. Pour répondre aux questions laissées sans réponse, « parce que ce dont les morts ne se soucient plus, les simples fragments, une image qui ne sera jamais complète, rendra fous les vivants. Littéralement fous. »

De la découverte des lieux qui ont bercé l’enfance de ses grands-parents aux plages pour surfeur de l’Australie où il retrouvera de la famille ; des Juifs encore présents aux États-Unis à ceux qu’il rencontrera en Israël ; de Suède à l’Ukraine ou d’autres pays encore, Daniel Mendelsohn explore, recense et collectionne les bouts d’information. Car très vite, lui qui cherchait à savoir comment Shmiel et sa famille sont morts, va découvrir qu’en fin de compte ce n’est pas ça qui est important, mais plutôt de savoir comment ils ont vécu, qui ils étaient, comment s’en souviennent la famille lointaine, les voisins, les connaissances.

Avec minutie et beaucoup de prudence, il nous livre des faits et uniquement des faits. Les entretiens qu’il conduit avec toutes les personnes qu’il va rencontrer sont toujours objectifs, basés sur des documents existants, sur des conversations enregistrées. Les fausses routes sont expliquées, les blancs dus aux pertes de mémoire ou à la pudeur sont respectés. Quelles que soient les nationalités rencontrées, quelles que soient les histoires entendues, il n’y aura jamais de jugements. Pas de parti pris pour un peuple, une religion ou une famille. On sent, à travers chaque ligne, une féroce envie d’apprendre, de combler un vide, de mettre des mots avant qu’il ne soit trop tard et qu’il n’y ait plus personne pour se souvenir ; mais en même temps, on ressent un profond respect pour ce que ces gens ont vécu, pour ce qu’on ne comprendra jamais.

Là où Les Bienveillantes de Jonathan Littell m’a, pour l’instant, laissé sur le bord de la route ; là où ma visite d’Auschwitz m’a paru déplacé ou, comme le dit l’auteur, tout est « si étrangement paisible et impeccablement soigné, devenu la généralisation grossière de ce qui est arrivé aux juifs en Europe », on a avec Les disparus un témoignage humble, respectueux des gens et de leur douleur, conté avec beaucoup d’intelligence et de cœur. Un magnifique livre humain sur l’une des périodes les moins humaines de ce siècle.

Extraits

A lire : Une interview de Daniel Mendelsohn sur le site de Lire.

Un premier extrait de ce livre a été posté dans l’extrait du mardi.

Ce récit, ainsi que celui de « Stern » tel que la relaté Matylda Gelernter suggèrent la raison pour laquelle ce que nous voyons dans les musées, les artefacts et les preuves ne peut nous donner que la compréhension la plus faible de ce qu’était l’événement en soi ; la raison pour laquelle nous devons rester prudents lorsque nous essayons d’imaginer « ce que c’était ». Il est possible aujourd’hui, par exemple, de circuler dans un fourgon à bestiaux d’époque dans un musée, mais il est peut-être important de rappeler, à l’ère de la téléréalité, que le fait d’être enfermé dans cette boîte – expérience assez déplaisante en soi, comme je le sais bien, pour certaines personnes – n’est pas la même chose que d’y être enfermé après avoir étouffé votre propre enfant et bu votre propre urine par désespoir, expériences que les visiteurs de ces expositions ont peu de chances d’avoir vécues récemment.

Il y a bien longtemps, j’ai commencé ma quête dans l’espoir d’apprendre comment ils étaient morts, parce que je voulais inscrire une date sur un arbre généalogique, parce que je pensais que mon grand-père, qui lorsque j’étais enfant avait l’habitude de m’emmener dans les cimetières où il se mettait à parler aux morts, mon grand-père dont je connaissais les défauts mais que j’adorais quand même, qui avait fait des dépressions nerveuses, qui s’était suicidé, pourrait connaître le repos – une idée sentimentale, j’en conviens – si j’étais capable de répondre enfin à la question après laquelle, lorsque je la lui posais, il se contentait de répéter, avec un haussement d’épaules et un hochement de la tête qui disait qu’il ne voulait pas en parler : Qu’est-il arrivé à Oncle Shmiel ? […] Nous étions partis pour apprendre précisément où, quand et comment il était mort, ils étaient morts ; et, pour l’essentiel, nous avons échoué. Mais dans l’échec nous avons compris, presque accidentellement, que jusqu’à ce que nous fassions ces voyages, personne n’avait jamais pensé à demander ce qui ne peut être inscrit sur un arbre généalogique : comment ils avaient vécu, qui ils avaient été.

Détails :

Auteur : Daniel Mendelsohn
Editeur : J’ai lu
Traducteur : Pierre Gugliermina
Prix : Médicis étranger 2007
Date de parution : 04/02/2009
931 pages

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