Pour Mila rien n’a de nom encore. Des mots existent, qu’elle ignore, des verbes, des substantifs pour tout, chaque activité, chaque fonction, chaque lieu, chaque personnel du camp. Un champ lexical, sémantique complet qui n’est pas de l’allemand et brasse le langues des prisonnières, l’allemand, le russe, le tchèque, le slovaque, le hongrois, le polonais, le français. Une langue qui nomme, quadrille une réalité inconcevable hors d’elle-même, hors du camp, en traque chaque recoin comme un faisceau de torche. C’est la langue concentrationnaire, reconnaissable de Ravensbrück à Auschwitz, à Torgau, Rechlin, Petit Königsberg, sur tout le territoire du Reich. Nommer, ça va venir, ça vient pour toutes. Les camp est une langue. Cette nuit et les jours à venir vont surgir des images qui n’auront pas de noms, pas davantage que le camp au soir de leur arrivée, comme n’ont pas de noms encore les formes aux yeux d’un nouveau-né.

Kinderzimmer – Valentine Goby

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