– Cela explique tout. Maintenant j’y vois clair, tellement clair que j’en ai peur. La faute en est à cette botte de trèfle. J’étais couché dans ma misère, étouffé par elle et ne pensant pas à la rejeter. Je ne comprenais pas la vie sans sa présence. Et voici que l’enfant arrive avec une botte de trèfle. Et tout à coup la misère me devient insupportable. Je souffre comme un homme brûlé et à qui on a arraché les yeux, pour qu’il ne puisse pas regarder autour de lui. Une botte de trèfle, et le sens d’une autre vie m’était révélé.
– Quelle vie ?
– Je ne saurais te le dire. Il y a dans l’air des choses qui s’annoncent et qui me disent que notre sang n’est pas tout à fait refroidi. Il y a encore en nous beaucoup de chaleur et de vie. Une chaleur capable de bien des miracles.
– Tu vas t’installer sorcier ?
– Non, pas moi. Regarde cet enfant qui pleure. Il a sans doute froid, car il est nu sous sa robe. Il n’a pas mangé depuis ce matin. Mais c’est lui le porteur de miracles. C’est lui le sorcier de demain. Je me demandais tout à l’heure, effondré dans ma boutique : « Qui sauvera l’enfant ? » Eh bien l’enfant se sauvera de lui-même. L’enfant n’acceptera pas ce lourd héritage de notre misère. Il aura des bras assez forts pour se défendre. Voilà se qu’annonce l’air autour de nous. Écoute, Haroussi…

Les hommes oubliés de Dieu – Albert Cossery


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