Après avoir été agressé dès mon arrivée je me rends aux toilettes. Devant le miroir je me souhaite une nouvelle fois la bienvenue dans le désastreux monde du travail et me tiens les cervicales. Je pressens que je n’arriverai pas à m’y faire. Je n’en peux déjà plus de la fourberie de ceux qui habitent ce monde-là, leur manque d’ouverture, leur étroitesse d’esprit, leur cupidité, leurs petites lâchetés quotidiennes. Je cherche comment m’éloigner d’eux. Je pense à la fugue, à la disparition. Je m’accroupis et respire profondément en fermant les yeux. En moi résonnent des éclats de rires qui ressemblent à des blagues de mauvais goût ou à des vomissures. Des rires expulsés d’un corps sans langue belle me tétanisent et me dégoûtent. Bienvenue dans la famille, je dis à l’autre dans le miroir, celle des petites natures mortes au travail et des maladies journalières, scléroses, oreillons et méningites.

(…)

Le crime ne paie pas, le travail, si, mais il me tue.

Je dois rester assis toute la journée. Sinon je tombe. Je ne parviens pas à parler des lieux et des personnes que j’ai quittés (les libraires des Sandales) ni de ceux que je viens de retrouver dans cet espace qui m’étouffe et me déprime. J’en ai déjà assez de dépenser le salaire de ma peur.

Je pense à mes compagnons silencieux qui ne font pas de croisières, qui comme moi sont de faux nomades, de mauvais sédentaires et attendent d’être traversés – même s’ils ont peur d’être percés ou de couler. Heureusement, à tous les jeux, les perdants ont droit à la parole.

Va-t-en va-t-en c’est mieux pour tout le monde – Christophe Grossi

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