C’est fort, désabusé, attachant, sombre, tendre… Tout cela à la fois !
La quatrième de couv :
« J’habite un no man’s land, un pays de fer et de charbon. Ici, l’avenir a longtemps reposé sur son sous-sol, ses entrailles, ses galeries. Depuis une vingtaine d’années, les mines, les hauts fourneaux et les laminoirs ferment, rouillent, deviennent des musées ou sont démontés pour être exportés en Chine, en Corée ou au Vietnam. J’aurais pu vivre ailleurs. Une machine à écrire, un téléphone, une gare à proximité : je n’ai besoin de rien d’autre. On m’a proposé des maisons dans le Sud pour pas trop cher, j’ai toujours trouvé des excuses pour rester au bord de la Moselle. Mon entourage fait pression pour qu’on déménage. Je résiste. Je sais que l’horizon est bouché, qu’on s’emmerde dans ce coin, mais on s’emmerde partout quand on n’a plus de rêves. Et de ce bout de terre bordé par trois frontières, la vue est imprenable sur la folie du monde. »
Mon avis :
C’est à un voyage au cœur de la Moselle que je vous invite aujourd’hui. Terre de naissance de Denis Robert, le journaliste qui a fait plier Clearstream, quoi de mieux que ce petit coin de France, ce pays des trois frontières, pour avoir cette vue imprenable sur la folie du monde.
On embarque dans cette virée comme si on le connaissait Denis Robert : l’apéro qui se prolonge chez les uns et les autres, les visites de courtoisie chez ceux qu’on n’a pas vus depuis bien longtemps, le voisin un peu taiseux qui passe de temps en temps pour simplement dire bonjour… Dans les personnages croisés, les paysages racontés, on sent l’attachement de l’auteur à sa région. Mais il y aussi le regard désabusé de celui qui a vu sa région perdre de sa superbe au fur et à mesure de la fermeture des mines de charbon d’abord, des hauts-fourneaux ensuite : «La Lorraine est une des régions les plus massacrées par le capitalisme financier, sa capacité d’infiltration et de désintégration du tissu humain. Elle est à l’épicentre de la crise industrielle. Il y a en Lorraine des blessures dans le sol et dans le cœur des hommes, des paysages et des populations sacrifiées.»
Mais au cours du voyage, ce n’est pas seulement la crise de la Lorraine qui va être abordée, mais aussi celle de cette France «qui a morflé, déprimé, mais qui finit par vivre sans se préoccuper des discours et des promesses politiques, une France groggy de mauvais coups, cherchant sans arrêt à se relever et à avancer». C’est l’affaire Cahuzac qui vient s’immiscer dans les jeux des gamins ; c’est la note qu’il a écrite pour François Hollande pour lutter contre les grands de la finance qui va le détourner de la rédaction de son roman ; c’est les banques, la folie du monde actuelle, les luttes, toujours plus nombreuses, qu’on lui propose de mener, les licenciements économiques, l’argent de la drogue, les fermetures de casernes, les montages financiers, la sidérurgie, Madoff, Kerviel…
Oui, ça donne le tournis. Mais comme le dit Denis Robert, «nous sommes dans une sorte de jeu vidéo où tout est vrai. Un casino géant où on passe d’un monde à l’autre en misant sur des promesses de fortune. Les hedge funds ou fonds spéculatifs restent l’essence du jeu. Il faut miser plus pour gagner plus. Et planquer son as, comme au poker. Celui qui arrête de jouer, essaie de se reposer deux secondes, perd la partie. Le secret du jeu, c’est le mouvement. Et l’absence de règles.»
C’est de ce «no man’s land», ce «pays de fer et de charbon», que Denis Robert nous invite au voyage. Je vous conseille vivement d’accepter cette main tendue que vous soyez ou non de la région. Les paysages valent le détour. Les réflexions méritent un arrêt. Les problèmes rencontrées ici feront écho à ceux de n’importe quelle région. C’est fort, désabusé, attachant, sombre, tendre… Tout cela à la fois !
Extrait
Un extrait a été publié dans l’extrait du mardi.
Détails :
Auteur : Denis Robert
Éditeur : Les arènes
Date de parution : 10/10/2013
284 pages
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Cela a l’air un pue plombant comme lecture, non ?
Ce n’est pas tout rose, c’est sûr, mais il en ressort aussi beaucoup d’humanité.