Certaines n'avaient jamais vu la mer - Julie Otsuka

Le dernier coup de cœur de 2012 ouvre les chroniques pour 2013. C’est beau, fort et tragique à la fois.

Mais d’où t’es venue l’idée de lire ce livre ?

Gaëlle en avait parlé sur son blog. Et ma libraire me l’a vivement conseillé. Il a fait partie de mes 8 livres préférés de 2012.

La quatrième de couv :

L’écriture de Julie Otsuka est puissante, poétique, incantatoire. Les voix sont nombreuses et passionnées. La musique sublime, entêtante et douloureuse. Les visages, les voix, les images, les vies que l’auteur décrit sont ceux de ces Japonaises qui ont quitté leur pays au début du XXe siècle pour épouser aux États-Unis un homme qu’elles n’ont pas choisi.
C’est après une éprouvante traversée de l’océan Pacifique qu’elles rencontrent pour la première fois celui pour lequel elles ont tout abandonné. Celui dont elles ont tant rêvé. Celui qui va tant les décevoir.
À la façon d’un chœur antique, leurs voix se lèvent et racontent leur misérable vie d’exilées… leur nuit de noces, souvent brutale, leurs rudes journées de travail, leur combat pour apprivoiser une langue inconnue, l’humiliation venue des Blancs, le rejet par leur progéniture de leur patrimoine et de leur histoire… Une véritable clameur jusqu’au silence de la guerre. Et l’oubli.

Mon avis :

« Sur le bateau nous étions presque toutes vierges. Nous avions de longs cheveux noirs, de larges pieds plats et nous n’étions pas très grandes. Certaines d’entre nous n’avaient mangé toute leur vie durant que du gruau de riz et leurs jambes étaient arquées, certaines n’avaient que quatorze ans et c’étaient encore des petites filles. Certaines venaient de la ville et portaient d’élégants vêtements, mais la plupart d’entre nous venaient de la campagne, et nous portions pour le voyage le même vieux kimono que nous avions toujours porté – hérité de nos sœurs, passé, rapiécé, et bien des fois reteint. Certaines descendaient des montagnes et n’avaient jamais vu la mer, sauf en image, certaines étaient filles de pêcheur et elles avaient toujours vécu sur le rivage. »

C’est l’histoire de ces Japonaises, celles qui étaient presque toutes vierges, celles qui, pour la plupart, n’ont pas connu grand-chose de la vie. Et dans ce bateau qui les amène vers les États-Unis, la plupart rêvent encore. A une vie meilleure. A une maison plus grande. A un travail plus facile que les champs qu’elles ont toujours connus. Elles rêvent grâce à ces lettres et ces photos qu’elles ont reçues de leur mari. Des lettres pleines d’amour et de promesses. Des photos d’hommes jeunes et beaux. Mais la réalité sera bien différente.

Et elles supporteront cette nouvelle vie loin de leurs rêves. Elles se tairont par peur, par devoir, par lassitude. Elles endureront les travaux aux champs, les mauvaises récoltes, les infidélités. Elles subiront l’indifférence des Américains ou leur haine. Elles vivront le décalage entre leur culture et celle adoptée par leurs enfants. Elles connaîtront la peur lorsque les premiers enlèvements auront lieu et que la guerre éclatera…

Le tout retentit comme un chant, une longue complainte, une polyphonie. Même si elles se retrouvent toutes dispersées à l’arrivée aux États-Unis, l’auteur nous les présente comme un chœur, liées à jamais par leur racine, leurs histoire, leurs désillusions et leurs peurs. C’est beau et tragique à la fois. C’est une vague ample et puissante qui déferle. C’est 1 000 voix qui résonnent en même temps. Fort et longtemps.

Extraits

Lire un extrait sur le site de la maison d’édition.

Détails :

Auteur : Julie Otsuka
Editeur : Phébus
Date de parution : 30/08/2012
139 pages

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