Que t’aurai-je appris ? Que retiendras-tu vraiment de moi ? M’aimeras-tu toute ta vie ? Ne deviendrai-je pas un jour un étranger, un gêneur, celui qu’on ne veut plus voir, celui qu’on fait disparaître et auquel seulement on pense de temps à autre avec aigreur ? Comment être ton père ? Comment être père, tout simplement ? Je te dis des musiques, des parfums, des jeux, des rêves, des films. Je te dis mes songes d’enfant et mes rêves de grande personne. Je te dis les mousses, les oiseaux, les rivières, l’Histoire et les mathématiques. Je te dis la beauté des autres, le respect qu’on doit leur porter. Nous discutons de Dieu, toi qui est dans sa présence, et moi dans son retrait. Nous parlons avec des mots simples de choses très compliquées. Nous rions beaucoup. J’ai ton âge souvent. Je ne te cache plus ma mort certaine, inévitable, comme je le faisais lorsque tu étais très petite, et que ce mensonge n’en était pas un encore, qu’il était simplement une fable. Je t’embrasse. J’aime tant t’embrasser. Je suis un père gai qui cache sa tristesse. J’ai si peur qu’un jour tu ne veuilles plus que je t’embrasse. J’ai si peur du jour où il me faudra supplier pour que tu donnes un baiser et que tu viennes te blottir dans mes bras quelques secondes seulement.

Être père, disent-ils – Philippe Claudel


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