L’opinion publique était bien injuste, car on lui avait rendu service. Seul Black February, seuls ces grands communicants qu’étaient les terroristes avaient réalisé que l’humanité, irrévocablement cinéphile, s’était lassée de comprendre les menaces et demandait à vivre le film de la catastrophe. Chose promise, chose due.

L’effondrement des écosystèmes, amorcé dans les années 1970, n’avait pas suffi – trop « cinéma muet ». Les crues, les cyclones, les sécheresses et les pollutions étaient trop anonymes – trop «films d’auteur» –, même le spectaculaire déménagement du New York Stock Exchange au Garden State (New Jersey), suite aux inondations inquiétantes de Manhattan. L’unanimité des experts, les extrapolations des courbes n’avaient pas davantage satisfait la pulsion scopique – trop « documentaires ». Il avait fallu grimer les limites terrestres en agression d’origine humaine pour créer la transcendance nécessaire au grand sursaut, aux ruptures, aux privations. Il avait fallu ce coup de pouce afin que les Terriens prennent leur peur au sérieux et se mobilisent pour leur survie; qu’importent les menaces, ils avaient toujours besoin d’ennemis pour agir. Dans une douleur sans nom, hurlant de rage, ils revinrent sur terre et commencèrent à vivre selon leurs moyens. Par ces terroristes, ces ventriloques, Black February avait prouvé qu’on pouvait faire parler la nature. Le voile tendu au-dessus de l’abîme s’était déchiré.

Brut – Dalibor Frioux

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